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DUMESHUI. Qui pourrait, tout aussi bien que deshormais, dont il est l’exact synonyme, s’écrire dumeshui. Est un terme d’un usage universel en Acadie. Désormais se décompose en des or mais, de cette heure en avant, et dumeshui en de ce jour en avant; hor, dans le premier mot, représentant hora, et hui, dans le second, hodie: de hora magis, de magis hodie.
On disait autrefois en France demashuidemaishui, pour désormais, chez le peuple. Rabelais a mesouan; Brantôme, meshui. Joinville emploie le mot hui et jour indifféremment. Froissart écrit tantôt meshuy: «Retournez en vos hotelsmeshuy» (aujourd’hui) en un seul mot, et tantôt mes hui en deux mots: «Retrairez(retirez-vous) en vostre nef et ne venez mais hui à terre». Ailleurs il dit: «Je le défie de hui en avant».
Joinville renverse la combinaison du mot: «Si ne le lessies huimais jusque à tant qu’il iest (sera) desséché». On trouve également huimès dans Garin le Loherains (T. II, p. 114). Dans Coquillart, c’est meshouen qu’on trouve. Un personnage de la Patelin [Farce de Maître Pierre] dit: «Ne me babilles meshuy de ton bè (bec) et me paye». Montaigne aussi donne meshui, mais en deux mots: «Mais-huy je ne bouge d’ici».
«Meshui*, dès-meshui… Ce mot est très doux et très agricole à l’oreille*», nous dit Vaugelas. Cependant il le rejette à cause qu’il est vieux. Ces citations (j’en pourrais fournir bien d’autres) suffisent pour donner à notre dumeshui droit de citer dans la langue.

-Le Glossaire acadien

https://www.cnrtl.fr/definition/dorenavant

AFFAÎTER. Ce mot, qui était un terme de fauconnerie à la cour de France et que l’Académie a conservé avec le même sens, est, à toutes fins, un terme agricole en Acadie. On affaîte une mesure de grain ou de légumes en la remplissant jusqu’au faîte, en l’arrondissant par le haut. L’expression est en usage au centre de la France, mais en Berri l’on dit préférablement, aujourd’hui, pointu ou bien garni. Un boisseau de blé pointu. L’opposite [le contraire] d’affaîté est rasé. La mesure rasée est celle que l’on passe à la radoire pour la mettre au niveau du boisseau ou du demi-boisseau.

L’on affaîte également un voyage de foin. George Sand (Valentine) emploie le mot dans le même sens que nous, mais [l’]épelle affêter: «Une de ces lourdes fourches dont on se sert pour affêter le foin».

Le mot est dans [le] Trévoux; Rabelais l’emploie; d’autres auteurs également, mais je ne démêle pas toujours exactement le sens qu’on lui donne: «Ainsi sont afaîté par dons, / A donner grâces et pardons». (Roman de la Rose, v. 7521).

Affaîture se disait, en vieux français, pour le haut d’une construction; Thibaud IV donne à ce mot le sens de perfection.

Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/affaiter

SÉVÈRE. Arpenteur (voir sévèrer).

SÉVÈRER. Arpenter. De l’anglais to survey.

Durant le régime français en Acadie, il n’y avait pas d’arpenteur officiel. On s’entendait entre voisins pour la division des terres. Les lignes mitoyennes étaient marquées au moyen d’arbres plaqués. Il en était de même du trécarré. Les Anglais eurent des surveyors, to survey the lands. Il fallait désigner ces nouveaux fonctionnaires, jusqu’alors totalement inconnus. De surveyor l’on fit sévère, un sévère, et de to surveysévèrer. Deux vocables a visage bien français.

-Le Glossaire acadien

TALLE. Touffe, bouquet, bouillée: une talle de groseilliers, de frênes; une talle de fraises; où les fraises sont abondantes.

L’expression est plutôt canadienne. Nous disons de préférence une bouillée. On dit bouillerée en Anjou. Une talle en Acadie, c’est une pièce de bois servant à tenir les comptes au moyen d’incisions marquant le nombre d’objets maniés. Le mot avait la même signification dans la vieille langue où il se disait pour entaille.

-Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/talle

DÉJUNER. Déjeuner. Déjuner est l’antique prononciation. B. de La Monnoye dans une note à un Epigramme de Saint-Gelais nous l’assure; «Et illec près nous menèrent en lieu bel, cler et près, pour desjuner». (CHRISTINE DE PISAN); «Vingt mille francs, ce dis Bertrand, ce n’est que un desjuner». (Mémoire de Du Guesclin); «Il luy dit qu’il voulait desjuner pour monter à cheval». (BRANTÔME, [Vies des hommes illustres et des grands capitaines], «Le Maréchal de Saint-André»); «Ne se desjuneront nis de un disner, / Einz Ke a Verolame aient fait mener le clerc». (Vie de saint A[l]ban, reproduit par G. Paris); «L’autre ayant prié Dieu et bien desjuné». ([D’]AUBIGNÉ). On trouve le mot épelé, très souvent, desjeûner, dans les très anciens auteurs. Cet eû se prononçait u. Déjeuner ou déjuner, c’est cesser de jeûner.

DÎNER. Il paraîtrait que dîner, anciennement disner, et déjeuner auraient le même radical et signifieraient, l’un et l’autre, rompre le jeûne. Le dîner était le repas du matin, empremier: «Ne porte od sei (avec soi) ne pain, ne vin / Dunt il se digne (dîne) a cel matin». (Vie de s[aint] Gilles, v. 1247-8). Nous déjeunons le matin; dînons à midi (à l’heure de l’angelus) et soupons le soir, à six heures.

SOUPER. Repas du soir. Nous déjeunons le matin, dînons le midi et soupons le soir selon l’usage antique, sinon solennel, des Français d’autrefois. Aujourd’hui, l’on déjeune sur les onze heures, à Paris, et l’on dîne le soir. Souper, c’est manger de la soupe. Aussi la soupe faisait-elle partie obligatoire du repas du soir; on commençait par la soupe: «Un valet se levant le chapeau sur la tête, / Nous vint dire tout haut que la soupe estait preste». (RÉGNIER, [Satires], «Satire X»); «On apporta une alose pour le desjeuner de Jeanne d’Arc: Gardez-la pour le souper, dit-elle à son hôte, car je vous emmenerai un goddam (un Anglais) qui en prendra sa part». On prenait alors ses repas, en France, aux mêmes heures apparemment qu’on les prend aujourd’hui en Acadie.

-Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/dejeuner

http://www.cnrtl.fr/definition/D%C3%8ENER

http://www.cnrtl.fr/definition/souper

BELUET (pour bluet). Petite baie sauvage de couleur bleue foncée, très abondante dans les terrains bas de l’Acadie et du Canada. Les écrivains l’appellent quelquefois airelle et myrtille. C’est le blueberry des Anglais. Bleu est le primitif de ce mot.

En jargon botanique, vaccinium canadense: Bluet «qui est la luce ou myrtille de France». (HÉMON, Maria Chapdelaine); «Une petite graine que nous appelons entre nous blues, qui sont fort bonnes à manger». (LESCARBOT); «Des maurels, c’est le nom donné aux baies de myrtil». (FRANCE, Le Petit Pierre). On trouve le mot dans Champlain, mais non pas dans Denys. L’argot s’est emparé de ce terme.

-Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/bluet

AUJORD’HUI. Aujourd’hui. C’est un des exemples, assez rares, ou l’o antique s’est allongé en ou à l’Académie. Nous avons conservé l[e] o primitif. Ici, ce sont les Français qui chousent. On disait jor, aujord’hui, ajorner dans l’ancienne langue, comme les Acadiens le disent. Les Champenois disent aussi aujord’hui.

-Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/aujourd’hui

CATIN. Poupée. Ce mot tiré d’un vocable grec, catharas, signifiant pur d’où Catherine, est tombé en disgrâce, et ne se dit plus, en français, que pour désigner une fille de moeurs légères. Le même sort est arrivé à sophiste qui, à l’origine, signifiait un sage. Dévot, casuiste sont également en train de dégénérer.

Le sens péjoratif de catin est de date assez récente. Voltaire, Madame de Sévigné, etc. ont employé le mot en bonne part. Ronsard appelle catin, Catherine de Médicis: «Pour te louer, ma petite catin / Je voudrais bien te faire un roquentin / Une élégie, un sonnet ou une ode».

Une chanson acadienne, importée de France sans doute, commence ainsi: «Versez-moi un ver de vin, / C’est pour saluer ma catin».

Catin était un terme de caresse en vieux français.

Pour tout le centre de la France, une catin, c’est encore aujourd’hui une poupée.

-Le Glossaire acadien

http://www.cnrtl.fr/definition/catin